L’histoire des Sourds


L’Abbé de l’Épée : l’homme oublié du Siècle des Lumières


« Je ne fais d’exclusion pour personne : ma vie appartient à tous les sourds-muets, de quelque classe, de quelque pays qu’ils soient. Que les enfants des riches viennent chez moi, je les recevrai par tolérance, mais c’est pour les malheureux que j’enseigne ; sans eux, je n’aurais jamais entrepris d’ouvrir une école pour instruire les sourds-muets. »

Charles Michel De l’Épée

Issu d’une famille aisée, Charles Michel de L’Épée naît à Versailles le 24 novembre 1712. Son père est architecte du roi Louis XIV pour des bâtiments royaux.

Il entre au Collège des Quatre-Nations en 1728 et suit les cours d’un philosophe janséniste. Cette rencontre influence profondément sa vie et ses convictions. Après des études de droit, Charles Michel de L’Épée se dirige vers l’Église. Ses opinions jansénistes lui interdisent l’accès à la prêtrise. Il est envoyé en tant que curé dans le village de Feuges près de Troyes en 1736. Cependant, l’abbé de l’Épée revient à Paris en 1739, après avoir finalement obtenu la prêtrise, afin de défendre les jansénistes contre la Bulle Unigenitus.

Entre 1760 et 1762, son destin bascule, il fait la rencontre de jumelles sourdes qui communiquent par signes et commence leur instruction. Il décide de créer un cours d’instruction générale par signes, rue des Moulins à Paris. Il enseigne alors à une trentaine d’élèves.

Vivant dans une relative aisance due à l’héritage paternel, il ne demande aucune rémunération. Soucieux de se faire connaitre, il organise des exercices publics. Dès lors, son initiative a un énorme retentissement. De nombreuses personnes s’intéressent à lui, sa méthode se diffuse en Europe.

En 1777, l’empereur d’Autriche, Joseph II, frère de la Reine Marie-Antoinette, envisage de créer à Vienne une école semblable à celle de la rue des Moulins. Il envoie donc l’abbé Stork se former auprès de l’Abbé de l’Épée.

Dès 1771, querelles et controverses s’élèvent entre les partisans de la méthode orale et de la méthode gestuelle de l’abbé de l’Épée.

Ce dernier meurt le 23 décembre 1789, il est placé « au nom de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l’humanité et de la patrie ». En 1791, il est décidé que son école sera prise en charge par la nation. L’institution des sourds et celle des aveugles sont réunies dans un premier temps au couvent des Célestins. Cependant, la cohabitation s’avère difficile. En 1794, l’Institut est transféré rue Saint-Jacques où il est encore aujourd’hui.

Ses ouvrages écrits :

Livre « Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques » en 1776.

livre-abbee-epee

Livre « Véritable manière d’instruire les sourds et muets » en 1789.

livre-abee-epee


Histoire des Sourds après 1789

À l’aube du XIXème siècle et au lendemain de la Révolution Française, deux élèves sourds du successeur de l’Abbé de l’Épée, l’abbé Sicard, deviennent eux-mêmes professeurs de sourds : Massieu et Clerc.

En 1815, Thomas Gallaudet, pasteur américain, emmène Laurent Clerc aux États-Unis et fondent la première école de sourds américaine à Hartford (Connecticut). Les signes « méthodiques », crées par l’Abbé de l’Épée commencent à diffuser à travers des pays d’Outre-mer et ceux d’Europe. Vers 1825, on estime que la méthode de l’Abbé de l’Épée pose des problèmes pédagogiques. On l’abandonne et la L.S.F (Langue des Signes Française) devient la langue d’enseignement. Le collaborateur de Sicard, Bébian, proposa une éducation véritablement bilingue et assura que le recours à la LSF était indispensable pour développer l’intelligence de l’enfant sourd. A cette époque, il y a de nombreux professeurs sourds, qui fondèrent eux-mêmes des écoles des Sourds-Muets en France (Bordeaux, Rodez, Saint Etienne…)

Le milieu du 19ème est une apogée riche de l’histoire des sourds français : il y a des artistes, écrivains, poètes sourds. La L.S.F. fait l’objet de recherches (surtout par des entendants) :

  • Bébian cherche une écriture de la Langue des Signes
  • L’Abbé Lambert et Joséphine Brouland publient des répertoires de signes
  • Rémi Valade fait une étude de la grammaire de la L.S.F. (1854)

Jusqu’aux environs de 1850, dans les écoles, l’enseignement se fait en L.S.F. Après 1850, certaines écoles adoptent la méthode orale qui est déjà répandue en Europe (Allemagne, Italie…)

En 1864, inauguration de la fameuse Université GALLAUDET de Washington D.C ; c’est la seule université au monde pour les sourds. Toutes les classes sociales sont représentées ainsi que les possibilités d’apprendre tous les métiers.

Le Congrès de Milan en 1880, épisode tragique de l’histoire des Sourds

En 1880, un congrès international de professeurs de l’enseignement des sourds, réunit à Milan décide : l’adoption de la méthode orale pure et l’exclusion des signes de l’enseignement.
Les délégués sont tous entendants, avec 1 seul sourd. Il y a 164 votants dont 87 italiens, 56 Français et seulement 5 Américains. Ces derniers représentent plus de 6000 élèves, soit plus que les 159 autres délégués réunis.

Deux conséquences directes :

  • 1ère conséquence : toutes les écoles françaises adoptent la méthode orale. Aujourd’hui l’oralisme est encore la règle générale en France, même si la L.S.F. n’est plus exclue de l’enseignement. Le retour à l’oralisme s’effectua en remontant de classe en classe. Les instructions ministérielles stipulaient : « il sera indispensable que ceux qui en bénéficient soient séparés des autres. A la suite des départs des derniers élèves instruits par « la mimique » en 1887, les professeurs sourds furent remerciés et se retrouvèrent alors sans emploi.
  • 2ème conséquence : le message de l’interdiction de la langue des signes fut transmis aux générations qui suivirent. Les gestes étaient dévalorisés, considérés comme une pratique ancienne, insuffisante et régressive, empêchant d’apprendre la parole. Les enfants avaient ainsi les idées faussées : Certains sourds étaient convaincus que s’ils arrivaient à bien parler, ils finiraient par devenir entendants. D’autres croyaient qu’ils allaient mourir avant l’âge adulte s’ils n’y arrivaient pas (car tous les adultes qu’ils voyaient entendaient et parlaient).

Les enfants très à l’aise entre eux, avaient honte et se sentaient coupables lorsqu’ils se trouvaient en classe et à la maison devant le mur de la parole pure. D’où certains comportements caractériels et problèmes psychologiques graves.

Malgré de l’interdiction, les réactions des sourds français :

Les sourds sont très actifs :

  • Ils militent pour faire reconnaître leurs droits.
  • La pratique de la LSF s’organisent chez eux ou en comités.
  • Ils organisent des congrès internationaux à Paris (1900,1912…) et aussi les expositions universelles afin de sensibiliser la reconnaissance de la L.S.F.
  • Ils créent de nombreux journaux, fondent des associations. Ils ont de fréquents échanges internationaux.

1939-1945 : Pendant la seconde guerre mondiale, les sourds sont déportés dans les camps d’exterminations nazis. Ils portent sur la poitrine comme toutes les personnes avec un handicap, un triangle bleu à la place de l’étoile jaune pour les juifs.

Après les années 50, la majorité des sourds en France étaient massivement et gravement sous-éduqués et quittaient l’école avec un niveau de français très bas. Dans la plupart des cas, ils avaient un CAP qui leur permettaient de gagner leur vie avec un métier manuel.

1971 : 6ème congrès de la F.M.S (Fédération Mondiale des Sourds) à Paris : prise de conscience de la richesse et de l’efficacité des traductions simultanées. Échanges internationaux

1975 : Ier Journal télévisé pour les sourds

Congrès de la F.M.S. à Washington. Les français découvrent le développement social et intellectuel des communautés sourdes américaines.

1976 :

  • Bernard MOTTEZ et Harry MARKOWICZ créent un observatoire linguistique (pour l’étude de la L.S.F. à Washington).
  • Alfredo CORRADO artiste sourd américain et Jean GREMION metteur en scène français, créent l’I.V.T (International Visual Theater), dirigé actuellement par Emmanuelle Laborit.

Le ministère de la Santé abroge l’interdit qui pèse sur la langue des signe.

1978 :

  • Tournée en province de Harry MARKOWICZ.
  • Création de l’A.L.S.F. (Académie Langue des Signes Française).
  • 1er stage au Gallaudet Collège à Washington

1980 :

  • Fondation de 2 L.P.E..
  • 1er stage de Parents à St Laurent-en-Royans.
  • Création de l’ANFIDA (Association Nationale Française d’Interprètes pour Déficients Auditifs)
  • Congrès de Dourdan – organisé par l’A.L.S.F.

1982 :

  • 1er congrès national de l’éducation bilingue de l’enfant sourd à Toulouse.
  • Dictionnaire de Poitiers : « Les mains qui parlent ».

1983 :

  • Parution de « Vivre Ensemble » et Divers ouvrages sur la langue des signes.

1984 :

  • L’association 2 L.P.E ouvre les premières classes bilingues à Poitiers et à Châlon

1986 :

  • 1ère Marche des Sourds sur Paris (1er Février).

1991 : La loi Fabius est votée par l’Assemblée Nationale : acceptation de l’utilisation de la LSF pour l’éducation des enfants sourds.

2005 : Loi du 11 Février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Dans le recueil des principaux articles pouvant se référer à la surdité, on notera plus particulièrement les points suivant :

  • L’information destinée au public dit être diffusée par des moyens adaptés à l’handicap.
  • La Langue des Signes Française est reconnue comme une langue à part entière. Tout élève doit pouvoir recevoir un enseignement de la LSF. Elle peut être choisie comme épreuve optionnelle aux examens et concours, y compris ceux de la formation professionnelle.

 

(Recherches faites par Alexis DUSSAIX)